Le cul entre deux chaises

Publié le par NOURRY Marie-Pierre

 

Parfois j'ai l'impression d'être en équilibre instable , le "cul" entre deux chaises .

48 ans, trop jeune pour un parkinson, trop jeune pour me retrouver en invalidité  .. décalée par rapport aux personnes en bonne santé de ma génération , décalée par rapport aux personnes déjà à la retraite .

Pas assez malade pour "paraître" invalide , mais trop pour être dans la vie active "normale"

Trop d'activités , dispersées dans tous les sens , besoin de me sentir utile , vraiment utile pour ne pas avoir l'impression tenace d'être un parasite de la société.

Sentiment d'inutilité, de perte de valeur de soi-même.

Pour compenser celà , besoin d'agir  dans une association, l'APF, pour soutenir et aider plus jeune et plus  handicapé que moi. Pourquoi ? Parce qu'au moins je  me sens profondément utile. Je ne me fais pas d'illusion sur mon altruisme.  En fait je me rends service à moi en faisant celà,  cela me permet de rester "respectable" à mes yeux , c'est tout.

Parfois, je sens l'incompréhension de certains vis à vis de moi : 

 Pourquoi  donc ne profite-t-elle pas de son temps libre ( au passage ,  quelle chance elle a ! ) pour se faire plaisir, faire du sport  ou autre chose. Qu'a-t-elle besoin d'aller se replonger dans le morbide, le handicap  et la maladie ?

Cette vision des choses est typique des gens en bonne santé qui ne savent pas à quel point c'est difficile de se sentir diminué et inutile , de ceux qui sont de l'autre côté de la barrière , et regardent les malades et les personnes handicapées comme des "non-personnes"  ou des "moitiés de personnes" . Ils ne voient pas l'intérêt et le plaisir que l'on peut prendre à s'investir pour cette cause là.  J'en connais quelques unes. Elles font partie des gens coincés qui ne me demandent pas "comment ça va" et feignent d'ignorer ma maladie , elles ignorent et évitent également de me parler de mon engagement dans l'APF : sujet tabou, morbide à éviter absolument. Elles ne comprennent rien à rien.  Je les plains sincèrement.

Les personnes handicapées que je vois à l'association APF  sont souvent plus jeunes, plus handicapés et plus résilients que moi.  Ils ont l'habitude d'organiser ensemble des activités , de témoigner de leur vécu et de parler sans tabou de leur handicap . Ils appartiennent à un groupe de sensibilisation au handicap , et se déplacent dans les écoles et les collèges pour démystifier le handicap et participer à l'éducation citoyenne des jeunes.  Avec eux, je me sens bien car ils  sont des exemples de résilience; de combativité et se comportent  comme de véritables citoyens. Ils correspondent tout à fait au slogan de l'APF : "On est tous faits pour aimer la vie" . Avec eux, je me sens du même côté de la barrière, je vois les choses comme eux.

Je pourrais dire que j'ai une "fesse" sur leur chaise roulante, car je me sens bien parmi eux et aussi avec les animateurs et personnes valides qui les entourent. 

Et pourtant en parallèle, je veux absolument rester valide et entière , autonome . J'ai besoin du contact des personnes "normales", qui n'ont pas  en permanence à lutter,  avec qui les rapports sont simples évidents naturels décontractés.  Avec eux , je suis dans le léger, le futile , l'ordinaire , le "normal".

L'autre "fesse" est assise sur cette chaise là.

Vis à vis du monde "normal" , j'ai besoin de prouver que je suis encore capable de faire des choses utiles, concrètes , visibles et valorisantes pour moi  dans différents domaines de la vie courante : cuisine, bricolage , travail intellectuel , etc ..  J'ai besoin que l'on me voit encore comme un personne ayant toutes ses capacités , pour compenser encore ce sentiment de personne devenue invalide, inintéressante et  transparente.

Cela me demande des efforts permanents , me stimule et me maintient la tête hors de l'eau. 

 Ma belle-mère disait toujours : Il  y a trois mondes : le monde des bien-portants , le monde des malades et le monde des morts.  Assise entre deux mondes , j'observe et j'apprends.

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans général

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